La question des déficits refait surface. Le gouvernement s’est saisi d’un texte de la Cour des comptes sur l’existence d’un « trou » de 9 milliards dans le budget de l’Etat de 2017 pour commencer à imposer une politique d’austérité au pays. Il s’agit clairement d’un prétexte. Outre que la Cour des comptes avait commencé à alerter sur ce point au début de l’année, on ne peut imaginer que M. Emmanuel Macron, ci-devant Président de la République et Ministre de l’économie jusqu’à l’été 2016 ait pu ignorer la situation. Les causes de ce déficit cependant méritent réflexions, et ce alors que Ministre du Budget, M. Darmanin, ne voit de solution que dans des coupes imposées aux divers ministères.
Les causes du déficit
Le budget de la France est en déficit, plus ou moins important, depuis maintenant de très longues années. Mais, les causes de ce déficit sont aujourd’hui assez différentes de ce qu’elles étaient dans les années 1980 ou dans les années 1990. Il faut ici rappeler que les dépenses publiques sont essentiellement des flux de transfert (entre 75% et 80%). Certains budgets sont, à l’évidence, aujourd’hui sous financés, comme la justice, l’Armée, mais aussi l’éducation ou les collectivités locales, via l’abandon progressif d’une politique d’aménagement du territoire. Les « économies » que l’on propose se font sur le dos des fonctionnaires, des justiciables, des malades, et des habitants des régions aujourd’hui abandonnées par l’Etat.
Les gouvernements successifs ont déchargé les entreprises d’une large part de la pression fiscale qu’elles subissent. De 2000 à 2008, ces allègements d’impôts, sous diverses formes sont passés de 10 à 20 milliards d’euros. L’introduction du CICE, puis sa transformation en baisse des cotisations sociales, a fait passer ce chiffre de 20 à 50 milliards d’Euros, et il atteindra, si l’on continue comme cela, les 55 milliards d’euros par an en 2019. Autrement dit, les allègements fiscaux coûtent à l’Etat entre1% et 2,5% points de PIB par an, pour un déficit allant de 3,2% à 3,7% du PIB chaque année.
A ces allègements de charge vient s’ajouter l’évasion fiscale, qui peut relever de la « fraude » (si elle est illégale) mais qui le plus souvent relève de mesures légales, ce que l’on appelle « l’optimisation fiscale ». Il y a là un manque à gagner pour l’Etat qui a été estimé, par divers économistes, entre 40 et 60 milliards d’Euros, soit entre 2% et 3% du PIB chaque année. Le manque à gagner pour l’Etat, qu’il soit « volontaire » ou « involontaire » (mais toléré) se monte donc ces dernières années entre 3% (1%+2%) et 5,5% du PIB par an. On voit qu’il explique une large part, si ce n’est la totalité, du déficit budgétaire de notre pays.
Les contraintes de l’Euro
Ces pertes fiscales, qui sont sans commune mesure avec ce que l’on appelle la « fraude sociale », qui existe bien entendu, et qui choque les Français car elle concerne des acteurs, ménages ou entreprises, de proximité, doivent être expliquées. Les allègements visent à maintenir la compétitivité des entreprises françaises, pour éviter de les voir soit fermer, soit délocaliser. Mais, on constate que ces allègements se sont envolés depuis l’introduction de l’Euro, en 1999 (pour l’Euro scripturale). La raison en est que l’Euro, en bloquant les taux de change, avantage de manière considérable l’Allemagne. Un document du FMI, que j’ai cité de nombreuses fois, montre que l’écart du taux de change réel (soit corrigé de l’inflation et des différences de gains de productivité) entre l’Allemagne et la France est de l’ordre de 21% en faveur de l’Allemagne. Dit autrement, si nous avions gardé notre monnaie, et l’Allemagne la sienne, le Franc se serait déprécié de 6% et le Deutschemark se serait apprécié de 15% par rapport au niveau actuel de l’Euro.
Cet écart est considérable. On comprend que les gouvernements successifs aient voulu le compenser par des allègements de charge. Mais, il n’est pas le seul problème. Compte tenu de la liberté totale de circulation des capitaux, liberté qui découle il faut le rappeler de l’Euro, les entreprises installées en France sont sensibles à l’attrait de divers paradis fiscaux. Aussi, pour éviter les délocalisations, le gouvernement tolère, voire encourage, divers schémas d’optimisation fiscale et ne lutte pas contre la fraude avec la rigueur qu’il devrait.
Gouverner, c’est choisir (ou pas…)
Disons-le tout net : compte tenu de l’existence de l’Euro et des contraintes que ce dernier impose sur l’économie française, il n’y a guère d’autre choix. Mais, cela revient à dire que le coût direct de l’Euro pour les finances publiques s’élève entre 60 et 110 milliards d’Euros par an, soit 3% à 5,5% du PIB. C’est un montant considérable. Il dépasse, et de très loin, la contribution nette de la France à l’Union européenne, qui n’est que de 9 milliards d’euros par ans (0,45% du PIB environ).
Cela permet de voir les choses comme elles sont et non comme le gouvernement voudrait qu’on les voie. Le déficit actuel des finances publiques est directement le produit de l’Euro. Si le gouvernement veut rester dans l’Euro, il devrait alors demander au pays qui bénéficie le plus de la monnaie unique, l’Allemagne, de compenser ces dépenses et de transférer ces sommes au budget français (cela représente entre 2,1% et 4,4% du PIB de l’Allemagne). Mais, les gouvernements des autres pays (Espagne, Italie, Portugal et Grèce) demanderaient bien entendu la même chose, et l’on aboutirait à un transfert annuel d’environ 10% du PIB de l’Allemagne aux autres pays. Ou bien, il faut tirer les conséquences de cette situation et se décider à mettre fin à l’Euro pour que, chaque pays ayant alors recouvré sa monnaie nationale, les ajustements de taux de change puissent se faire librement.
Telle est le véritable problème des finances publiques en France aujourd’hui.
Cet article est initialement publié sur le blog de Jacques Sapir : http://russeurope.hypotheses.org